La musique concrète au carré

 

Quelle surprise et quelle joie fut celle de trouver, au milieu d’une collection médiocre de vinyles qu’on me proposait, le Panorama de musique concrète ! Quelle déception aussitôt de remarquer, sur les deux faces du premier disque, quelques défauts, comme des bulles qu’aurait faites un liquide chaud ! Quelle stupeur en constatant, sur les deux faces du second disque, une multitude de ces mêmes bulles et même de coulures en cloques dans la matière du vinyle ! M’apaisant, je me suis demandé ce que donnerait l’écoute des disques. Est-ce qu’avec ces défauts, ces saillies très concrètes, je n’aurais pas une musique concrète au carré ? Les enregistrements de Henry et Schaeffer seraient accompagnés, ou plutôt perturbés par des bruits bien réels qui valent bien ceux des usines ou locomotives.

Je n’ai pas osé écouter la musique inouïe qui en sortirait, de crainte de niquer mon saphir. Mais cette musique doublement concrète ne mériterait-elle pas que j’en paie le prix ? Les commentaires dans la pochette et la brochure du CND qui l’accompagne le disent : la musique concrète est faite de « bruits soumis à toutes les variations possibles », d’« accidents », de « déformations », des « qualités imprévisibles des nouveaux sons produits », de « paroxysme », de « tumulte », de « trouble », etc. N’aurai-je pas tout ça sans même pouvoir écouter ce qu’ont véritablement fait Henry et Schaeffer ? Je me demande si le curé à qui appartenait ce Panorama — l’abbé Jean Garnesson, son nom est tamponné —, en garnement du son à voulu à son tour expérimenter la matière sonore en triturant la matière vinylique, comme les concrétistes manipulaient les bandes magnétiques, et ainsi aurait-il fait une expérience bien concrète de physique amusante (huile bouillante ? acide ?) sur la « véritable résine de vinyle, donc pratiquement inusable ou incassable » (précision du Club National du Disque sur la pochette).

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