Une opération de désherbage

Ce matin, j’étais à la vente de livres — opération de « désherbage » — de la médiathèque de ma ville. Je suis à chaque fois effaré, voire scandalisé, en constatant la nature des livres dont on se débarrasse parce que jugés obsolètes ou parce qu’il ne sont pas assez empruntés, quelles que soient les questions de manque de place. Mes sentiments sont ambivalents puisque d’un autre côté je suis bien content d’en profiter : le livre à 1€ ! A tel point d’ailleurs que — situation joliment perverse — depuis longtemps je n’emprunte plus de livres, dans l’espoir que ceux qui m’intéressent se retrouvent à un prochain désherbage…
Cette fois-ci, parmi beaucoup d’autres choses très intéressantes, il y avait un grand nombre de livres d’art et sur l’art ayant appartenu — le nom sur la première page en faisant foi — à ma prof d’arts plastiques de lycée. Livres provenant donc d’un don mais qui n’étaient pas passés par les étapes de la reliure, du tamponnage, de l’étiquetage et du plastifiage… N’ayant donc jamais fait partie du fonds, la raison de ce « désherbage » ne peut être la faiblesse de l’emprunt. J’en conclue que la raison ne peut être que celle du doublon. Vu la spécificité des ouvrages, je n’y crois pas mais vais quand même vérifier dans le catalogue en ligne de la médiathèque. Effectivement, la grande majorité n’y sont pas. Ainsi, la médiathèque accepte des dons qui ne l’intéressent pas et s’en débarrasse aussitôt. Une autre question que je me pose : que deviennent les livres qui n’ont pas été vendus lors de ces opérations de désherbage ? Je me renseigne un peu sur internet : le don — par exemple à des associations — semble quasiment impossible légalement pour les bibliothèques, et la pratique la plus courante semble être le pilon, la déchèterie ; quelquefois même, c’est la destination des livres désherbés sans même qu’au préalable une vente ait été organisée. C’est aussi pour ça, entre autre, qu’en tant qu’éditeur je ne dépose pas mes livres à la médiathèque
Je termine par une anecdote. Pendant que je regardais les livres ce matin, alors que j’avais déjà rempli un gros sac, une bibliothécaire vient me demander si je les revends ensuite. Interloqué, je lui explique que par ailleurs, en effet, je suis bouquiniste, mais que j’achète ces livres principalement pour moi, je suis un grand lecteur, et d’ailleurs je suis aussi éditeur. Je lui demande si sa question est motivée par le fait que j’en prends beaucoup. Elle confirme et insiste sur la question de la revente et précise que c’est interdit. Je n’ai pas envie de perdre mon temps dans la contradiction et j’abrège, d’autant que le temps de présence accordé au public est minuté.
Une fois sorti, j’y repense, assez énervé par cette suspicion, qu’on m’ait demandé de justifier mes achats, et par ce ton supérieur, assez méprisant, d’autant plus de la part d’une institution publique qui dévalorise, par ces pratiques, le livre et qui me fait ce que je considère comme de la concurrence déloyale. Je décide donc d’y retourner dans l’après-midi pour revoir cette bibliothécaire et lui expliquer deux, trois choses. Comme je ne la vois pas, je demande à une de ses collègues et je la décris. « Ah oui, c’est la directrice ! Elle n’est plus là. » me répond-elle. Je n’en reviens pas, je suis outré que la directrice de la médiathèque venue me parler ne se soit pas présentée comme telle, qu’elle n’ait manifesté aucun intérêt à rencontrer un acteur local du livre quand je lui ai précisé que j’étais éditeur, alors même que j’avais déjà essayé de la joindre auparavant, et que je lui avait fait passer un message pour lui proposer une collaboration, qu’elle n’a peut-être pas reçu, et que c’était l’occasion d’en parler. Et je réalise subitement que ce n’est certainement pas parce que je prenais beaucoup de livres qu’elle est venue me parler — d’ailleurs, d’autres en prenaient autant ou plus — mais parce qu’on a dû lui signaler qui j’étais — joie des petites villes — et je réalise en même temps qu’une des bibliothécaires est aussi la responsable d’une association locale — « solidaire » — de vente de livres à prix très modiques. Ce sont les bons qui font un travail formidable pour la lecture, je suis le méchant qui achète pour revendre.

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