D’abord l’envers
Je poursuis ma lecture du Cours de Pise (P.O.L., 2018).
Aux pages 371-375, Emmanuel Hocquard propose (en 2002) une contrainte d’écriture qu’il baptise éponge. Il s’agit de prendre un texte déjà écrit et, dans un premier temps, de le soumettre à un équarrissage. Par exemple, ce début d’article de presse :
« L’éponge serait-elle la clé du mystère animal ? Quel rapport peut-il exister entre cet objet familier de nos salles de bains et un être humain ? »
Après équarrissage, nous avons :
« L’ la du ? Quel peut entre cet de nos et un ? »
Il faut ensuite rhabiller ce squelette, par les mots d’un second texte, en faisant attention que les substitutions concordent grammaticalement. Enfin, on versifie l’ensemble. Ce qui donne, par Emmanuel Hocquard :
L’odeur devient-elle
la séparation du moment ?
Quel roi peut choisir entre cet amour
de nos parfums et un petit palais ?
[…]
Rien là d’original, l’Oulipo a émis des idées très semblables.
Mais cela m’a rappelé que, dans les mêmes années, je m’étais lancé dans un projet d’écriture relevant de la même contrainte, à un détail majeur près, et qu’il s’agissait d’opérer à partir d’un recueil de Pierre Alféri, tiens, un ami d’Emmanuel Hocquard. L’ouvrage de Pierre Alféri, Les Allures naturelles (P.O.L., 1991), est composé de 36 poèmes répartis en 10 sections :
I. pression
II. dissipation
III. inertie
IV. circulation
V. condensation
VI. dérive
VII. translation
VIII. chute
IX. oscillation
X. recul
J’adoptai la même structure, en changeant les titres de sections :
I. Vagues nuages et plusieurs inconnues
II. En transe sur une corde flottante
III. Li ia ées et gy nos er es
IV. Trois kin de lin
V. Selon un thyrse plus complexe
VI. L’instant usé à polir
VII. Coquillage-store
VIII. Quelques hantises mineures
IX. Le truc simule en silence
X. Le travesti décoiffé
Comme dans le recueil initial, chaque section était consacrée à un type ; non pas de mouvement, mais de poésie, soit, dans l’ordre : spatiale, répétitive, fragmentaire, blanche, versifiée traditionnelle, à contraintes, à listes, en prose, cut-up/ready made, de détournement. Cette thématique n’était pas vouée à être évidente pour le lecteur, elle me servait juste comme une contrainte supplémentaire assez lâche, comme une sorte de moteur et comme panneau indicateur personnel.
J’ai composé ainsi une vingtaine de poèmes et puis j’ai abandonné, comme presque toujours. A l’issue, j’aurais envoyé le recueil — que j’avais intitulé D’abord l’envers — à P.O.L. Le refus aurait aussi été un succès. L’antépénultième poème d’Alféri est dédié à E.H. & O.C. ; le mien l’était à C.P.A. (mix de C.P. et P.A.).