Pontoise-Rocroi

… voyage en lecture comparée, entre Promenades et souvenirs (1855) de Gérard de Nerval et La 628-E-8 (1905) d’Octave Mirbeau (GF et 10-18, p. 75 sqq.).

 

Nerval veut « appeler quelque attention sur ces pauvres villes délaissées dont les chemins de fer ont détourné la circulation et la vie. »
Rocroi est pour Mirbeau une « ville morte » :

 

« d’aussi mortes que Rocroy, il n’est pas possible qu’il y en ait, nulle part, dans le monde. Rocroy est plus qu’une ville morte, c’est un cimetière ; plus qu’un cimetière, c’est le cimetière d’un cimetière, si une telle chose peut se concevoir » ;

« L’administration des ponts et chaussées qui, par pudeur nationale, sans doute, a voulu épargner aux voyageurs étrangers l’affligeant spectacle de cette déchéance, a déclassé la route qui mène à Rocroy. Rien ne mène plus à Rocroy qu’un chemin ensablé, cahoteux, que personne ne prend, et où poussent librement des herbes grisâtres : l’ancienne route. La nouvelle le contourne à quelques kilomètres, et s’en va desservant des villages plus vivants et de mornes campagnes ».

 

Loin d’y voir une politesse ou une pudeur, Nerval se plaint de ces contournements :

 

« je n’admettrai jamais, quelles que soient les difficultés des terrains, que l’on fasse huit lieues, ou si vous voulez trente-deux kilomètres, pour aller à Poissy en évitant Saint-Germain, et trente lieues pour aller à Compiègne en évitant Senlis. Ce n’est qu’en France que l’on peut rencontrer des chemins si contrefaits ».

 

Les habitants.

 

Mirbeau :

 

« Quant aux quelques figures, chargés de représenter l’indigène, d’où viennent-ils ? De quels hôpitaux ? De quelles morgues ?… De quels musée de cire ? […] nous vîmes quelques fantômes, assis sur des chaises et sur des bancs, au seuil des portes, devant les boutiques, dont la plupart, ailleurs étaient closes. Ils ne remuaient pas, ne parlaient pas, ne regardaient pas. […] A Rocroy, ils ne s’inquiétaient de rien, ne regardaient rien, si parfaitement immobiles que nous eûmes la pensée que c’étaient des mannequins d’étoupe, et que, si nous les avions effleurés d’une chiquenaude, ils fussent tombés sur le trottoir, avec un bruit mou… »

 

Nerval :

 

« On y joue encore dans les rues, on cause, on chante le soir sur le devant des portes […] De jolies femmes et de beaux enfants s’y promènent. On surprend en passant, on envie tout ce petit monde paisible qui vit à part dans ses vieilles maisons, sous ses beaux arbres, au milieu de ces beaux aspects et de cet air pur ».

 

La comparaison avec Paris.

 

Mirbeau :

 

« Notre surprise s’augmenta à découvrir que les devantures des boutiques s’ornaient d’enseignes, telles que celles-ci : « Épicerie parisienne… Boulangerie parisienne… Charcuterie parisienne… ». J’ignore l’idée que ces spectres se font de Paris, si Paris, pour eux, symbolise la vie ou la mort… Ce que je sais, c’est que tout était parisien, à Rocroy, et que tout était mort. »

 

Nerval :

 

« Ce qui fait le charme, pour moi, des petites villes un peu abandonnées, c’est que j’y retrouve quelque chose du Paris de ma jeunesse. L’aspect des maisons, la forme des boutiques, certains usages, quelques costumes… A ce point de vue, si Saint-Germain rappelle 1830, Pontoise rappelle 1820 ; — je vais plus loin encore retrouver mon enfance et le souvenir de mes parents. »

 

A Mirbeau aussi, la ville morte rappelle le passé, mais celui-ci est moins plaisant :

 

« En sortant de Rocroy, où, parmi tant de morts, m’étaient revenus tant de souvenirs d’un passé détesté […] ».

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